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CONSOLATION A MARCIA.

là jeux de poëtes qui nous ont agités de vaines terreurs. La mort est le dénoûment, la fin de toutes douleurs, la barrière que le malheur ne franchit pas ; elle nous remet dans ce calme profond où nous reposions avant de23 naître. Qui pleure les morts doit pleurer aussi ceux qui ne sont pas nés. La mort n’est ni un bien ni un mal. Pour qu’une chose soit l’un ou l’autre, il faut qu’elle existe d’une manière quelconque ; mais ce qui n’est en soi que néant, ce en quoi tout s’anéantit, ne crée pour nous ni heur ni malheur. L’un comme l’autre supposent quelque élément, une sphère d’action. Le sort ne peut plus retenir ce que la nature congédie, et celui qui n’est pas ne saurait être malheureux. Votre fils a laissé derrière lui les confins de la servitude. Recueilli dans une profonde et éternelle paix, ni la crainte de la pauvreté, ni le souci des richesses, ni la volupté qui mine les âmes par ses fausses douceurs, ne le pressent de leurs aiguillons ; il n’éprouve pas l’envie du bonheur des autres , et nul ne le poursuit de la sienne ; l’invective ne blesse pas ses modestes oreilles ; plus de désastres publics ou privés qui contristent sa prévoyance ; sa pensée inquiète ne s’attache pas à tel événement futur où toujours se rattachent de pires incertitudes. Désormais il habite un séjour d’où rien ne peut le bannir, où rien ne saurait l’effrayer.

XX. Oh! combien s’aveuglent sur leurs misères ceux qui ne bénissent pas la mort comme la plus belle institution de la nature ! Soit qu’elle vienne clore une destinée prospère ; soit qu’elle chasse le malheur présent ; soit qu’elle éteigne le vieillard ou rassasié ou las de vivre ; soit qu’au printemps de l’âge, durant ses rêves de félicité, elle tranche l’homme en sa fleur ; soit qu’elle rappelle l’enfance avant les rudes journées du chemin, la mort qui pour tous est le terme, pour beaucoup le remède, que souhaitent quelques-uns, ne mérite jamais mieux de nous que lorsqu’elle n’attend pas qu’on l’invoque. Elle affranchit l’esclave en dépit du maître, dégage le captif de sa chaîne et tire de prison ceux qu’une ombrageuse tyrannie y retenait sans pitié; elle montre à l'exilé, dont la pensée et les regards sont incessamment tournés vers la patrie, qu’il importe peu près de quelles cendres dormiront les nôtres. Si la Fortune a mal réparti des biens communs à tous ; si, de deux êtres nés égaux, elle a livré l’un en propriété à l’autre, la mort rétablit pleinement l’égalité. Chez elle on ne fait rien de par le caprice de personne ; chez elle on ne sent point la