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CONSOLATION À MARCIA.

de lui-même, n’étant point tombé là par hasard, mais bien prévenu, sachant où il venait ?

De même la nature dit à tous : « Je ne veux tromper personne. Tu me demandes une postérité ? Tu pourras l’avoir belle comme tu pourras l’avoir difforme ; et s’il te naît plusieurs rejetons, le sauveur de la patrie peut se trouver du nombre, tout comme celui qui la trahira. Ne désespère pas d’avoir des fils assez honorables un jour pour qu’à leur considération le cri de la haine te respecte ; mais songe aussi que peut-être leurs turpitudes feront de leur nom seul une injure. Il n’est pas impossible que tu reçoives d’eux les derniers devoirs et les éloges de la tombe ; sois prêt pourtant à les déposer sur le bûcher, soit enfants, soit hommes, soit vieillards. Car que font ici les années ? point de funérailles qui ne soient prématurées, dès qu’une mère y assiste. Mes conditions te sont connues d’avance ; si tu deviens père, tu absous les dieux de tout reproche : ils ne t’ont rien garanti. »

XVIII. Eh bien, appliquons cette similitude à la vie entière et à l’entrée qu’on y fait. Tu délibérais si tu irais voir Syracuse : je t’ai exposé les charmes et les désagréments de l’entreprise. Suppose qu’aux portes de la vie tu me demandes les mêmes conseils : tu vas entrer dans la cité commune des dieux et des mortels, qui embrasse tout, qu’enchaînent des lois fixes, éternelles, qui fait rouler les corps célestes, infatigables dans leurs tâches. Là tu verras d’innombrables étoiles ; tu t’émerveilleras qu’un unique soleil inonde de ses feux la nature entière, marque dans son cours quotidien la durée des jours et des nuits, et, dans son cours annuel, les étés, les hivers également partagés. Tu verras l’astre des nuits lui succéder, emprunter aux rayons de son frère une lumière douce et tempérée, tantôt se dérober aux yeux, tantôt dévoiler tout entier son orbe suspendu sur nous, croissant, décroissant tour à tour, et toujours autre le lendemain que la veille. Tu verras cinq planètes suivre des routes diverses et rebrousser le cours qui emporte le reste du ciel. À leurs moindres mouvements, est attachée la fortune des peuples ; les plus grands comme les plus petits événements s’opèrent selon qu’un astre heureux ou malin est intervenu21. Tu admireras l’amoncellement des nuages, l’eau qui retombe en pluie, le vol oblique de la foudre et le fracas des cieux.

Quand, rassasiés de ces haute spectacles, tes yeux s’abaisseront sur la terre, un ordre de choses différent t’étalera d’au-