bête féroce a bien couru sur la trace de ses petits et rôdé par toute la forêt, après qu’elle est mainte fois revenue au gîte pillé par le chasseur, sa douleur furieuse est prompte à s’éteindre. L’oiseau qui voltige avec des cris si aigus autour de son nid dépeuplé, en un moment redevient calme et reprend son vol ordinaire. Il n’est point d’animaux qui regrettent longtemps leurs petits : l’homme seul attise sa douleur et s’afflige, non en raison de ce qu’il éprouve, mais selon qu’il a pris parti de s’affliger. Ce qui prouve qu’il n’est pas naturel de succomber à ces deuils, à ces déchirements, c’est qu’ils sont plus douloureux à la femme qu’à l’homme, plus aux barbares qu’aux peuples de mœurs douces et civilisées, plus aux ignorants qu’aux esprits éclairés. Or ce qui tient sa force de la nature reste identique dans tous les êtres.
Évidemment donc ce qui est si variable n’est point naturel. Le feu brûlera qui que ce soit, à tout âge et en tout pays, les hommes comme les femmes ; le fer manifestera sur tout corps vivant sa propriété de trancher : pourquoi ? parce qu’il l’a reçue de la nature, qui ne fait acception de personne. La pauvreté, le chagrin, l’ambition affectent diversement les hommes, plus ou moins imbus qu’ils sont du préjugé ; et la faiblesse, l’impatience nous viennent d’avoir, à l’avance, cru terrible ce qui ne l’est point.
VIII. De plus, ce qui est naturel ne diminue point par la durée : le temps use la douleur ; c’est en vain qu’elle se roidit, de jour en jour plus opiniâtre et que tout remède l’effarouche, celui qui sait si bien apprivoiser les plus intraitables instincts, le temps l’émoussera. Il vous reste encore, ô Marcia, un chagrin profond qui semble même endurci dans votre âme ; il n’a plus cette vivacité des premiers transports, il est tenace et obstiné ; tel qu’il est néanmoins, le temps vous le dérobera pièce à pièce. Chaque fois que d’autres soins vous occuperont, il perdra de son intensité. Jusqu’ici vous veillez à le maintenir : or ; la différence est grande entre se permettre la douleur et se l’imposer. Combien il est plus convenable à la noblesse de vos sentiments de mettre fin à votre deuil, que d’attendre qu’il veuille cesser ! Ne différez pas jusqu’au jour où il vous quittera malgré vous : quittez-le la première9
IX. « D’où vient donc cette persévérance à gémir sur nous-mêmes, si la nature n’en fait pas une loi ? » C’est qu’on ne voit jamais les maux possibles avant qu’ils n’arrivent ; comme si, privilégié contre eux, on avait pris une voie plus assurée