Choisissez de ces deux exemples lequel vous paraît le plus louable. Suivre le premier, ce serait vous retrancher du nombre des vivants, prendre en aversion les enfants d’autrui, les vôtres, celui même que vous pleurez, être pour les mères une rencontre de sinistre augure, rejeter tout plaisir honnête et licite comme messéant à votre infortune, haïr la lumière, maudire votre âge qui ne vous plonge pas assez vite au tombeau, et, faiblesse des plus indignes qui répugne trop à vos sentiments connus par de plus nobles traits, ce serait faire voir que vous ne voulez plus vivre et que vous n’osez mourir. Mais si vous prenez pour modèle la courageuse Livie, vous serez dans le malheur plus retenue, plus résignée, et ne vous consumerez pas de mille tourments. Quelle folie en effet[1] dese punir de ses misères, de les aggraver par un mal nouveau ? Cette sévérité de mœurs, cette réserve qui fut la règle de toute votre vie, vous y serez fidèle encore aujourd’hui ; car la douleur aussi a sa modestie6. Pour assurer à votre fils un digne et plein repos, ne cessez de répéter son nom, de penser à lui : vous le placerez dans une sphère meilleure si son image, comme autrefois sa personne, se présente à sa mère sous les traits du bonheur et de la sérénité.
IV. Je ne vous mènerai pas à cette rigide école qui veut qu’on s’arme, dans des malheurs humains, d’une dureté inhumaine, et qu’une mère ait les yeux secs le jour même des funérailles d’un fils7.Prenons tous deux le bon sens pour arbitre et posons-nous cette question : « Que faut-il que soit la douleur ? ou grande ou éternelle ? » Ici, je n’en doute pas, l’exemple de Livie que vous avez vue de près et vénérée, sera préféré par vous. Elle vous appelle à ses conseils : dans la première ferveur de son deuil, quand l’affliction est le plus impatiente et rebelle, Livie s’abandonna aux consolations d’Aréus, le philosophe de son mari8, et confessa que cet homme avait beaucoup fait pour elle, plus que le peuple romain qu’elle ne voulait pas attrister de sa tristesse, plus qu’Auguste, qui chancelait privé de son second appui[2], et n’avait pas besoin que le deuil des siens vînt l’accabler ; plus enfin que Tibère son fils, dont la tendresse lui fit éprouver, après cette perte prématurée et tant regrettée des peuples, que c’était le nombre plutôt que l’amour de ses en-