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VII
ET LES ÉCRITS DE SÉNÈQUE.


il est des cas où il faut recevoir malgré soi. Un tyran cruel et emporté me donne : si je dédaigne son présent, il se croira outragé. Puis-je ne pas accepter ? Je mets sur la même ligne qu’un brigand, qu’un pirate, ce roi qui porte un cœur de brigand et de pirate ; que faire ? voilà un homme peu digne que je devienne son débiteur. Quand je dis qu’il faut choisir son bienfaiteur, j’excepte la force majeure et la crainte sous lesquelles périt la liberté du choix. Si la nécessité t’ôte le libre arbitre, tu sauras que tu n’acceptes point, que tu obéis… Veux-tu savoir si je consens ? Fais que je puisse ne pas consentir. » (Des Bienfaits, II, xviii.) « Nulle différence entre ne pas vouloir donner à un roi et ne pas vouloir accepter de lui : il met sur la même ligne l’un et l’autre, et il est plus amer à l’orgueil d’être dédaigné que de n’être pas craint. » (Ibid., V, vi.)

Cependant ces richesses, tout imposées qu’elles lui fussent, l’exercice d’un pouvoir qui dura trop peu pour le bien du monde, mais qui semblait trop long à d’ambitieux rivaux, le contraste si facile à relever du désintéressement prêché dans ses livres avec l’éclat de sa position officielle (car pour sa vie privée, on sait qu’elle était simple et plus que frugale), ses talents littéraires enfin lui suscitaient une foule de détracteurs et d’envieux. Il venait de faire condamner par le sénat un délateur vénal et redouté sous Claude, Suilius. Celui-ci, dans sa défense, récrimina contre Sénèque. Tacite, qui rapporte son discours (Annal., XIII, xlii), n’y ajoute aucune réflexion, ne l’approuve ni ne le combat. Mais son silence, tout regrettable qu’il est, est suffisamment compensé par l’hommage rendu dans tout le cours de son récit aux vertus de ce ministre de Néron. Tacite, qui trop souvent ne se prononce point sur des faits essentiels où son jugement n’était certes pas incertain, et qui enveloppe, non-seulement les faits, mais sa phrase, d’ambiguïtés et de formes énigmatiques, est du moins l’un des garants les plus sûrs et les plus honnêtes quand il parle et juge nettement en son nom. C’est bien alors, comme Bossuet l’appelle, le plus