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VI
NOTICE SUR LA VIE


admirer son esprit, publiait par la bouche de son élève. » Quelque temps, le ministre put croire qu’il avait réussi. Son beau traité de la Clémence, qui parut la seconde année du règne, le donnerait à penser, bien qu’on y vît percer déjà quelques appréhensions, notamment sur le sort de Britannicus. La mort tragique de ce dernier ne les justifia que trop tôt. Selon le mot qu’un ancien scoliaste de Juvénal prête à Sénèque parlant en confidence à ses amis, on sentit que « le lion reviendrait promptement à sa férocité naturelle, s’il lui arrivait une fois de tremper sa langue dans le sang. » Plus que jamais, à cette époque, Sénèque et Burrhus durent s’interposer entre Néron et sa mère, et lutter contre l’ambition furieuse de cette femme. Déjà, peu auparavant, comme des ambassadeurs arméniens plaidaient devant Néron la cause de leur pays, elle se préparait à monter et à siéger sur le tribunal de l’empereur si, bravant la crainte qui tenait les autres immobiles, Sénèque n’eût averti le prince d’aller au-devant de sa mère. « Ainsi, dit Tacite, le respect filial servit de prétexte pour prévenir un déshonneur public. » Plus tard, comme Agrippine n’eût pas été arrêtée même par l’inceste dans sa poursuite du pouvoir, Sénèque et Burrhus durent condescendre, de peur d’un crime, aux faiblesses amoureuses de Néron[1], et tenter de le contenir par de moins odieuses distractions. Ils ne réussirent complètement que de ce côté. Quand le naturel sanguinaire du prince avait fait explosion, la tactique de celui-ci, pour compromettre et enchaîner Sénèque, du moins en apparence, à toute sa politique, était de le combler de largesses, lui et Burrhus, ce qu’il fit même à la mort de Britannicus. Et les reproches ne manquèrent pas de fondre sur eux. D’autre part, on pensait qu’il y avait eu pression, contrainte de la part du prince, dit Tacite ; et Sénèque s’exprime de même : « Il ne m’est pas toujours permis de dire : Je ne veux pas.

  1. « Si le tyran demande, comme cadeaux d’un grand prix, des artistes, des courtisanes, de ces choses qui peuvent amollir son humeur féroce, volontiers les lui offrirai-je. » Sén., des Bienfaits, VII, xx.