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DE LA COLÈRE, LIVRE III.

qu’une chevelure rousse et rassemblée en tresse ne messied au guerrier germain[1]. Tu ne trouveras étrange ou inconvenant chez personne ce qui est le cachet de sa race. Chacun des exemples que je cite n’a pour lui que l’habitude d’une contrée, d’un coin de la terre ; vois donc combien il est plus juste encore de faire grâce à des imperfections qui sont celles de l’humanité. Nous sommes tous inconsidérés et imprévoyants, tous irrésolus, portés à la plainte, ambitieux. Pourquoi déguiser sous des termes adoucis la plaie universelle ? nous sommes tous méchants. Oui, quoi qu’on blâme chez autrui, chacun le retrouve en son propre cœur(17). Pourquoi noter la pâleur de l’un, la maigreur de l’autre ? la peste est chez tous. Soyons donc entre nous plus tolérants : méchants, nous vivons parmi nos pareils. Une seule chose peut nous rendre la paix : c’est un traité d’indulgence mutuelle. Cet homme m’a offensé, et ma revanche est encore à venir ; mais un autre peut-être l’a été par toi, ou le sera un jour.

XXVII. Ne te juge pas sur l’heure présente, sur le jour actuel : interroge l’état habituel de ton âme ; quand tu n’aurais point commis le mal, tu peux le commettre. Combien il vaut mieux guérir la plaie de l’injure que de s’en venger ! La vengeance absorbe beaucoup de temps et nous expose à une foule d’offenses pour une seule qui nous pèse(18). La colère dure chez tous bien plus longtemps que l’injure ; n’est-il pas mille fois préférable de quitter le champ des disputés et de ne pas déchaîner vices contre vices ? Te semblerait-il sain d’esprit, celui qui rendrait à la mule un coup de pied, au chien un coup de dent ? « La brute, dis-tu, n’a pas la conscience de ce qui est mal. » Mais d’abord, quelle injustice qu’auprès de toi le titre d’homme soit un obstacle au pardon ! Ensuite, si tout ce qui n’est pas l’homme est sauvé de ta colère, grâce au manque de raison, mets donc sur la même ligne tout homme en qui la raison manque. Car qu’importe qu’il diffère d’ailleurs de la brute, si l’excuse de la brute dans tous les torts qu’elle cause est aussi la sienne, l’absence de discernement ? Il a fait une faute ? est-ce bien la première ? sera-ce la dernière ? Ne le crois pas quand il aurait dit : « Je n’y retomberai plus. » Il blessera encore et un autre le blessera et la vie entière tournera

  1. Je lis, avec le manusc. Gronovius : nec… apud Germanos virum dedecet, au lieu de : utrumque decet. Juvénal a imité tout ce passage, Sat. XIII.