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DE LA COLÈRE, LIVRE III.

se déclara l’ennemi de l’empereur ; nul ne redouta son amitié, nul ne vit en lui une victime frappée de la foudre et qu’il faut fuir : il y eut des bras qui s’ouvrirent pour cet homme tombant de si haut. César, je le répète, souffrit tout cela patiemment, sans même s’émouvoir de cet attentat à sa gloire et aux faits de son règne. Jamais il ne fit de reproches à l’hôte de son ennemi ; seulement il lui dit une fois : « Tu nourris un serpent. » Puis, comme celui-ci voulait s’excuser, il l’interrompit : « Que je ne gêne pas tes jouissances, mon cher Pollion, que je ne les gêne pas. » Et comme Pollion offrait, au premier ordre de César, de fermer sa maison à Timagène : « Crois-tu que je puisse le vouloir, reprit Auguste, moi qui vous ai réconciliés ? » En effet, Pollion avait été quelque temps brouillé avec Timagène, et son seul motif pour le revoir fut que César ne le voyait plus.

XXIV. Que chacun donc se dise, toutes les fois qu’on l’offense : « Suis-je plus puissant que Philippe ? on l’a pourtant outragé impunément. Ai-je plus d’autorité dans ma maison que le divin Auguste n’en avait sur le monde entier, Auguste qui se contenta de rompre avec son offenseur ? Pourquoi ferais-je expier à mon esclave par le fouet ou les fers une réponse faite d’un ton trop haut, un air de mutinerie, un murmure qui n’arrive pas jusqu’à moi ? Qui suis-je, pour que choquer mon oreille soit un crime ? Une foule d’hommes ont pardonné à leurs ennemis ; moi, je ne ferais pas grâce à un serviteur indolent, distrait ou causeur ? » Que l’enfant ait pour excuse son âge ; la femme, son sexe ; l’étranger, son indépendance ; le domestique, ses rapports familiers avec nous. Est-ce la première fois que tel te mécontente ? songe que de fois il t’a satisfait. T’a-t-il souvent et en d’autres cas offensé ? souffre encore ce que tu souffris si longtemps. Est-ce ton ami ? il l’a fait sans le vouloir. Ton ennemi ? c’était son rôle. Cédons à plus sage que nous, pardonnons à qui l’est trop peu ; pour tous enfin, disons-nous bien que les plus parfaits mortels ne laissent pas de faillir souvent ; qu’il n’est point de circonspection si mesurée qui parfois ne s’oublie ; point de tête si mûre, de personne si grave que l’occasion ne pousse à quelque vivacité ; point d’homme si peu porté à l’offense qui n’y tombe, en voulant l’éviter.

XXV. Si l’homme obscur se console dans ses maux à l’aspect de la chancelante fortune des grands ; si dans sa cabane celui-là pleure un fils avec moins d’amertume qui voit sortir de chez les rois mêmes des funérailles prématurées, ainsi devra souffrir