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moindre faute, faisait jeter ces infortunés dans un vivier rempli de véritables serpents ? O monstre digne de mille morts, soit qu’il eût pour sa table les lamproies par lesquelles il faisait dévorer ses esclaves, soit qu’il les eût uniquement pour les nourrir ainsi ! Les maîtres cruels sont signalés, dans toute la ville, comme des objets de haine et d’aversion publique ; les mauvais rois, dont les injustices et les infâmies s’étendent bien plus loin, sont livrés à l’exécration des siècles à venir. Combien il vaudrait mieux n’être jamais né que d’être rangé parmi ceux qui sont nés pour le malheur des peuples

[1, 19] XIX. On ne peut imaginer rien de plus glorieux que la clémence, pour l’homme qui exerce le pouvoir souverain, quels que soient les moyens par lesquels il s’y est élevé et les droits en vertu desquels il le possède. Il faut convenir toutefois que cette vertu a d’autant plus d’éclat et de grandeur, que celui en qui elle réside possède une autorité plus vaste, autorité qui ne saurait être malfaisante sans violer les lois de la nature. C’est la nature, en effet, qui a inventé la royauté. On peut s’en convaincre en observant plusieurs espèces d’animaux, entre autres les abeilles, dont le roi occupe la demeure la plus spacieuse, la plus centrale et la plus sûre ; exempt de travail, c’est lui qui surveille celui de ses sujets ; à sa mort, l’essaim se disperse. On n’en souffre jamais plus d’un ; c’est la victoire qui proclame le plus digne. Ce roi est d’une forme remarquable. Il diffère de ses sujets par sa grosseur et par sa couleur brillante ; mais voici ce qui le distingue surtout. Les abeilles sont très irascibles ; elles combattent avec un acharnement étonnant pour la petitesse de leur corps ; elles laissent leur aiguillot : dans la plaie ; mais le roi n’a pas d’aiguillon