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un amour sans issue

aux trois exilés de la Terre des céréales et des légumes auxquels ils étaient habitués, mais cela sans assaisonnement aucun. Et comme toute nourriture animale lui était interdite, l’infortuné fils d’Albion souffrait chaque jour davantage en songeant aux larges tranches de roastbeef saignant, à la turtle-soup et aux pickles variés dont la seule idée lui mettait maintenant l’eau à la bouche.

Il songeait donc sérieusement au retour.

Il ne s’en était pas encore ouvert à Marcel : il sentait bien que le jeune ingénieur ne pouvait accueillir cette idée tant qu’il n’aurait pas réalisé ce qui était le but immédiat de son entreprise, c’est-à-dire l’établissement de communications régulières entre les deux planètes.

Mais si Marcel, se laissant aller aux tendres sentiments qui semblaient le dominer maintenant, allait perdre de vue le projet qu’il avait formé, l’espoir de ce retour se trouverait indéfiniment ajourné. Bien plus, si l’ingénieur songeait à consacrer définitivement sa vie à celle qu’il aimait, qu’adviendrait-il de ses deux compagnons ?

Telle était la question qui s’imposait à l’esprit de lord Rodilan et qui lui faisait envisager l’avenir avec inquiétude. Il n’était décidément pas fait pour ce monde supérieur.

La fille de Rugel n’avait pas été sans remarquer le changement survenu dans l’humeur et le caractère de Marcel. Elle ne pouvait pas lire au fond de son cœur, car l’habitant de la Terre était privé de ce sens subtil qui, dans le monde lunaire, établissait entre la parole et la pensée une si étroite union que rien ne s’y pouvait dissimuler. Mais, à l’expression du regard de Marcel, aux tendres inflexions de sa voix, au trouble qui l’agitait lorsqu’il se trouvait en sa présence, elle avait fini par comprendre le sentiment dont elle était l’objet.

Elle n’avait vu tout d’abord dans cet empressement de Marcel à rechercher sa société que les manifestations d’une âme reconnaissante, quelque chose de semblable à la gratitude inconsciente qu’un enfant éprouve pour celle qui veille autour de son berceau, sourit à ses joies et adoucit ses souffrances. Mais peu à peu, à mesure que la tendresse de Marcel devenait plus pressante et