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un monde inconnu

se passe ; nous avons quelque chose de plus important à faire. Dans combien de temps penses-tu, mon cher Marcel, que nous pourrons renouveler nos signaux ?

— Rassure-toi, le moment approche où nous saurons à quoi nous en tenir. Déjà la pénombre s’approche de nous. Dans vingt-quatre heures l’ombre sera assez épaisse pour que nos foyers rallumés puissent être aperçus de la Terre. Mais si nos calculs sont exacts, le jour commencera à ce moment à poindre aux Montagnes Rocheuses, et il nous faudra encore attendre douze heures au moins avant que nos amis puissent apercevoir nos signaux et y répondre.

— Comme tout cela est long ! fit lord Rodilan. Il faut, en vérité, se trouver exilé sur la Lune pour apprendre la patience.

— En vérité ! mon cher lord, fit Jacques en souriant, c’est pour le coup que vos amis de Londres ne reconnaîtraient plus en vous le gentleman si froid, si correct, si impassible, qu’ils étaient habitués a voir.

— C’est que aussi, tout cela finit par m’agacer. J’ai vu, depuis que j’ai quitté la Terre, tant de choses extraordinaires que rien ne me semble plus impossible, et je m’irrite de voir que des gens aussi savants que vous l’êtes tous ici, n’arrivent pas plus vite à résoudre une question qui me paraît si simple.

— Voilà bien nos flegmatiques, s’écria Marcel en riant de tout son cœur. Tant qu’ils se trouvent au milieu du train ordinaire de la vie, rien ne les étonne, ne les émeut ; ils font les dédaigneux et les blasés. Qu’une chose nouvelle et en dehors de leurs prévisions vienne à se présenter, leur imagination s’exalte ; ils deviennent du jour au lendemain les plus impatients des hommes. Voyez-vous, milord, la véritable sagesse consiste à garder toujours et en toute circonstance le calme et la dignité de son esprit, à ne rien dédaigner, à ne rien prendre au tragique, à se garder de tout découragement comme de toute espérance folle, et, comme le disait la sagesse antique, à prendre le temps comme il vient et les gens comme ils sont.

— Moralisez, moralisez, mon cher Marcel, puisque vous avez le temps et la liberté d’esprit de le faire… Mais, en vérité, que se