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l’honneur de reconnaître qu’il était difficile de faire mieux que le Christ, et qu’après lui il n’y avait plus de religion possible. On lui donnait des regrets parfois sincères, on répandait même des larmes et des fleurs sur sa tombe. Tout cela se faisait publiquement, sérieusement ; et tous ces gens gradés, décorés, largement défrayés par le budget, philosophes, hommes d’État, politiques habiles, gens d’esprit pour la plupart, jouaient à l’enterrement de l’Église avec un tel air de conviction, que beaucoup, sans doute, étaient de bonne foi.

Il est vrai qu’on y apportait des ménagements ; on n’y allait pas avec brutalité, comme des gens sans éducation qui manquent d’égards pour la faiblesse et la décrépitude, ou comme des gens sans traitements et sans places qui n’ont nul souci des positions acquises et des faits accomplis ; on n’était pas logique comme les socialistes ont voulu l’être depuis. On reconnaissait que, si la religion chrétienne était morte et bien morte pour les classes éclairées de la société, il fallait la laisser vivre encore pour le peuple et pour les femmes, je ne dis pas pour les enfants des classes aisées, à en juger par l’enseignement philosophique que leur donnait l’Université. Le temps viendrait sans doute où l’émancipation des esprits gagnerait de proche en proche avec les progrès des lumières et des mœurs, et c’était le devoir suprême des gouvernements de diriger avec douceur et prudence ce grand mouvement, de dégager peu à peu le peuple des langes usés de la foi pour l’élever aux pures clartés de la philosophie. Cependant, on reconnaissait généralement que le moment n’était pas venu, que les esprits n’étaient peut-être pas assez polis, les mœurs assez pures, et que la religion, le catéchisme et la confession étaient encore nécessaires pour empêcher les femmes d’abandonner leurs maris et leurs ménages, les enfants du peuple de mépriser et