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âme ; mon cœur se fondit de repentir et d’amour, et ce moment céleste, ou j’aimai Dieu plus ardemment peut-être que je ne l’avais aimé, m’est resté présent comme un de mes plus chers souvenirs.

Et cependant, dans ces jours à jamais bénis, où le sang de Jésus-Christ semble avoir une vertu plus agissante sur les cœurs, les voûtes de Notre-Dame furent témoins d’un spectacle plus grand, d’une émotion plus profonde encore. Je veux parler de la communion pascale qui suit la retraite de la semaine sainte. Cette solennité religieuse est désormais établie, consacrée, passée dans les habitudes et les mœurs des chrétiens à Paris : elle se renouvelle tous les ans avec une splendeur et une beauté vraiment célestes mais rien ne peut donner une idée de l’impression immense qu’elle fit sur les enfants de l’Église comme sur ses ennemis, quand elle eut lieu pour la première fois.

Ce fut toute une révélation, la révélation de la vie religieuse au dix-neuvième siècle, de l’inépuisable fécondité de l’Église, de la résurrection de la foi dans tous les rangs de la société en France. À partir de ce moment, on sut et il ne fut plus permis d’ignorer que le catholicisme n’est pas une de ces vieilleries bonnes à mettre de côté, une de ces religions de musée qui ont fait leur temps et avec lesquelles les esprits éclairés et les hommes d’État ne se donnent même plus la peine de compter. Il n’avait pas manqué d’écrivains et de philosophes pour l’écrire, de gens de toute espèce pour le croire. On le disait, on l’imprimait publiquement ; on l’enseignait dans les collèges ; on racontait comment les dogmes finissent ; bien plus, on racontait leur mort et leurs funérailles ; les détails, les circonstances, tout y était évidemment, on y avait assisté. Le christianisme était fini, et avec lui toute religion ; car on lui faisait