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et de son succès. On l’aimait, on aimait le Dieu qui sait mettre un tel amour, un tel dévouement dans le cœur naturellement si froid et si égoïste de l’homme ; or, quand on a commencé à aimer, tout est dit ! On pleurait, on détestait ses fautes, on assiégeait le confessionnal où le saint prêtre demeurait chaque soir, quelquefois bien avant dans la nuit, tant était grande la foule des pénitents et c’est ainsi que le royaume de Dieu allait chaque jour grandissant au milieu de nous.

Je me rappellerai toujours avec émotion celles de ces retraites bénies où il me fut donné d’assister, une surtout où j’entrai tiède, hésitant entre le bien et le mal, et d’où je sortis plein des plus saintes résolutions. Rien ne peut donner une idée de l’aspect imposant de cette immense assemblée d’hommes, éclairés par la lumière incertaine des lampes, gardant un profond silence, puis se levant tous à la fois et entonnant ensemble, avant le commencement du sermon, le psaume Miserere, avec la puissance de trois mille voix d’hommes, de trois mille âmes de chrétiens unies dans un même sentiment de repentir, d’adoration et d’amour. Lors de cette retraite dont je parle, le vendredi saint, quand, après ce chant du Stabat, tout imprégné des larmes et du sang du Calvaire, le prédicateur, la voix déjà brisée par la fatigue des jours précédents, nous retraça la Passion du Sauveur ; quand, avec une éloquence sublime, il nous montra le Verbe éternel, l’Agneau de Dieu, Jésus-Christ, notre frère, notre maître et notre victime, trahi, souffleté, flagellé, se tordant comme un ver sous le fouet sanglant des bourreaux puis, quand, se redressant avec un geste terrible, il s’écria : « Et maintenant, allez, aimez et caressez encore votre chair, si vous l’osez mais ne dites plus que vous êtes chrétiens ! » Je sentis (et il me sembla que tout l’auditoire le sentait comme moi) un frisson traverser mon