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plus sur notre tombe la brise éthérée de l’amour. C’est fini, c’est à jamais fini, et telle est l’histoire de l’homme dans l’amour.

« Je me trompe, messieurs, il y a un homme dont l’amour garde la tombe ; il y a un homme dont le sépulcre n’est pas seulement glorieux, comme l’a dit un prophète, mais dont le sépulcre est aimé. Il y a un homme dont la cendre, après dix-huit siècles, n’est point refroidie ; qui chaque jour renait dans la pensée d’une multitude innombrable d’hommes ; qui est visité dans son berceau par les bergers et par les rois lui apportant à l’envi et l’or, et l’encens, et la myrrhe. Il y a un homme dont une portion considérable de l’humanité reprend les pas sans se lasser jamais, et qui, tout disparu qu’il est, se voit suivi par cette foule dans tous les lieux de son antique pèlerinage, sur les genoux de sa mère, au bord des lacs, au haut des montagnes, dans les sentiers des vallées, sous l’ombre des oliviers, dans le secret des déserts. Il y a un homme mort et enseveli, dont on épie le sommeil et le réveil, dont chaque mot qu’il a dit vibre encore et produit plus que l’amour, produit des vertus fructifiant dans l’amour. Il y a un homme attaché depuis des siècles à un gibet, et cet homme, des millions d’adorateurs le détachent chaque jour de ce trône de son supplice, se mettent à genoux devant lui, se prosternent au plus bas qu’ils peuvent sans en rougir, et là, par terre, lui baisent avec une indicible ardeur les pieds sanglants. Il y a un homme flagellé, tué, crucifié, qu’une inénarrable passion ressuscite de la mort et de l’infamie, pour le placer dans la gloire d’un amour qui ne défaille jamais, qui trouve en lui la paix, l’honneur, la joie, et jusqu’à l’extase. Il y a un homme poursuivi dans son supplice et sa tombe par une inextinguible haine, et qui, demandant des apôtres et des martyrs à toute postérité qui se lève, trouve des apôtres et des martyrs au sein