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l’inspirera jusqu’à la fin. Avec les premières ombres de la vieillesse, le sentiment de la paternité descend dans notre cœur et prend possession du vide qu’y ont laissé ses précédentes affections. Ce n’est pas une décadence, gardez-vous de le croire ; après le regard de Dieu sur le monde, rien n’est plus beau que le regard du vieillard sur l’enfant, regard si pur, si tendre, si désintéressé, et qui marque dans notre vie le point même de la perfection et de la plus haute similitude avec Dieu. Le corps baisse avec l’âge, l’esprit peut-être encore, mais non pas l’âme, par laquelle nous aimons. La paternité est autant supérieure à l’amour que l’amour lui-même est supérieur à l’amitié. La paternité couronne la vie. Ce serait l’amour sans tache et plein, si de l’enfant au père il y avait le retour égal de l’ami à l’ami et de l’épouse à l’époux. Mais il n’en est rien. Quand nous étions enfants, on nous aimait plus que nous n’aimions, et, devenus vieux, nous aimons notre tour plus que nous ne sommes aimés. Il ne faut pas s’en plaindre. Vos enfants reprennent le chemin que vous avez suivi vous-mêmes, le chemin de l’amitié, le chemin de l’amour, traces ardentes qui ne leur permettent pas de récompenser cette passion à cheveux blancs que nous appelons la paternité. C’est l’honneur de l’homme de retrouver dans ses enfants ; l’ingratitude qu’il eut pour ses pères, et de finir ainsi, comme Dieu, par un sentiment désintéressé !

« Mais il n’en est pas moins vrai que, poursuivant l’amour toute notre vie, nous ne l’obtenons jamais que d’une manière imparfaite, qui fait saigner notre cœur. Et, l’eussions-nous obtenu vivants, que nous en reste-t-il après la mort ? Je le veux, une prière amie nous suit au delà de ce monde, un souvenir pieux prononce encore notre nom mais bientôt le ciel et la terre ont fait un pas, l’oubli descend, le silence nous couvre, aucun rivage n’envoie