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béni ; à votre chef, couronné de gloire et d’épines ; à cette vie, dont j’ai respiré le parfum dès ma naissance, que mon adolescence a méconnue, que ma jeunesse a reconquise, que mon âge mûr adore et annonce à toute créature. Ô Père ! ô Maître ! ô Ami ! ô Jésus ! secondez-moi plus que jamais, puisque, étant plus proche de vous, il convient qu’on s’en aperçoive et que je tire de ma bouche des paroles qui se sentent de cet admirable voisinage ! »

Le Seigneur ne fit pas défaut à son humble et puissant serviteur, et, cette année-là, son éloquence sembla grandir encore. Un jour, entre autres, quand je vivrais cent ans je n’oublierai jamais ce jour, il parla de la vanité des amours humains et de l’éternelle puissance de l’amour fondé par Jésus-Christ, avec des accents si profonds, si tendres, si évidemment inspirés, qu’avec tout l’auditoire je fus bouleversé, remué jusqu’à la souffrance, et qu’aujourd’hui encore, après dix ans, je n’y puis penser sans qu’un frisson me traverse le corps et l’âme. Voici cet admirable morceau, qui restera comme un modèle inimitable de l’éloquence de la chaire :

« … Ce n’est pas assez pour Jésus-Christ de mettre son esprit à la place du nôtre : roi de notre intelligence, il n’est encore qu’au commencement de son ambition ; il veut plus que la pensée, il veut l’affection. Et quelle affection, mon Dieu ! un amour qui soit le comble de l’amour humain, et devant lequel disparaisse toute histoire d’amour. Et, afin que vous jugiez du prodige qu’il y a à cela, examinez un peu de près la difficulté que nous avons nous-mêmes à être aimés de notre vivant.

« À peine la fleur du sentiment point-elle en nous, que nous cherchons, dans les compagnons de notre adolescence, des sympathies qui s’emparent de notre cœur et le tirent de sa chère et triste solitude. De là viennent