Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/89

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ombre et passage, par laquelle le temps touche à l’éternité. Ni la vie ni la mort ne t’ôteront de mes mains ; empires de ce monde, prenez-en votre parti ! »

Quels accents ! quelle puissance ! et quelle autorité souveraine quand il jette aux sceptiques et aux indécis de son auditoire cette sublime apostrophe :

« Devant vous, qui ne croyez pas, mortels nés d’hier et promis à la mort pour demain, feuilles emportées sur tous les rivages des mers, incertains de vous-mêmes et de tout, je me pose avec une hardiesse qui n’a pas même besoin de courage. Je sais d’où je viens et où je vais. J’ai ma foi contre vos doutes, et ce qui vous paraît absurde, indigne, flétri, mort, cette cendre même, au delà de cette cendre, s’il est possible, je le prends, je le mets sur l’autel, je vous commande d’y venir, et nul de vous n’est assez fort pour être certain au dedans de lui qu’il ne viendra pas ! »

Si je me laissais aller au charme souverain qu’a toujours exercé sur moi tout ce qui est sorti de cette bouche et de cette plume incomparables, je ne m’arrêterais jamais dans mes citations. Je n’en ferai plus qu’une seule, en rappelant un de mes plus chers souvenirs, une de mes plus puissantes émotions. C’était en 1846 ; le grand orateur, après avoir parlé les années précédentes de l’Église, de sa constitution, de ses effets sur l’esprit, sur le cœur et sur la société, était arrivé à la personne adorable de Jésus-Christ :

« Seigneur Jésus s’était-il écrié en abordant ce divin sujet, depuis dix ans que je parle de votre Église à cet auditoire, c’est, au fond, toujours de vous que j’ai parlé ; mais enfin, aujourd’hui, plus directement, j’arrive à vous-même, à cette divine figure, qui est chaque jour l’objet de ma contemplation à vos pieds sacrés, que j’ai baisés tant de fois à vos mains aimables, qui m’ont si souvent