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Je ne prétends point faire ici une étude littéraire ; je ne cherche qu’à retracer l’impression que produisait sur moi et sur beaucoup d’autres la parole enflammée de ce grand homme. Il touchait, il enflammait, il entraînait, tantôt soupirant des accents pleins de la plus mélancolique tendresse, tantôt flétrissant le mal avec une irrésistible énergie ; sachant tour à tour et avec une égale puissance exposer les misères et les trésors du cœur de l’homme, discuter un système philosophique et raconter l’histoire ; à la fois théologien, poète, philosophe, historien, et toujours logique sous une apparence de désordre, qui, chez lui, n’était qu’un art de plus. Je ne sais si l’impression de l’orateur m’est restée tellement présente et vivante au cœur, qu’il suffit d’un souvenir pour l’y faire vibrer de nouveau ; mais il est certain qu’aujourd’hui encore j’éprouve, en relisant ces admirables conférences, une émotion presque égale à celle que je ressentais en les écoutant. Je crois le voir, le grand orateur, je crois l’entendre dans ses discours incomparables sur la chasteté, sur l’immutabitité de l’Église, sur l’amour de Jésus-Christ, et tant d’autres, étonnant son auditoire par son génie, le subjuguant par son autorité, s’emparant de lui par une irrésistible argumentation, l’éblouissant par un langage étincelant de passion et d’images, l’attendrissant jusqu’aux larmes et faisant fondre tous les cœurs en admiration et en amour.

Aussi grand écrivain qu’il est grand orateur, il réalise complètement, pour moi, l’idéal de l’éloquence, tel que Je me le suis formé.

Veut-il dépeindre le triomphe momentané de l’incrédulité au dix-huitième siècle et l’affreuse dégradation morale qui en fut la conséquence, ouvrez le second discours sur la Chasteté, et lisez ; c’est Tacite, mais un Tacite chrétien :