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ditoire charmé. Et quel auditoire, mon Dieu ! l’immense nef de la cathédrale n’y suffisait pas : les bas côtés mêmes étaient assiégés de jeunes gens qui, pour mieux entendre et pour entrevoir au moins le visage ou les gestes du prédicateur, montaient sur les balustrades, escaladaient les piliers des colonnes, et formaient à l’œil comme des vagues plus élevées au milieu d’un océan de têtes humaines. Jamais je n’oublierai l’émotion qui me remuait jusqu’au fond du cœur chaque fois qu’il me fut donné d’assister à ces grandes solennités de la foi catholique. Quel Gémissement, quand l’éloquent dominicain, enveloppé de cette robe de laine blanche si belle, si austère et si simple, la tête rasée, ceinte seulement d’une couronne de cheveux comme d’une auréole, apparaissait dans la chaire de vérité, et quand, se relevant après s’être prosterné devant Dieu, il promenait sur la foule émue son regard étincelant comme celui de l’aigle ! Puis, quel silence profond ! Comme nous buvions à longs traits toutes ses paroles, comme nous dévorions ses gestes des yeux, comme nous étions suspendus à ses lèvres si puissantes et si douces, d’où le miel découlait, d’où jaillissait l’éclair, d’où la lumière et la charité s’épanchaient sur nous comme d’un foyer divin !

Alors toutes les âmes étaient unies et confondues dans une seule âme, dans l’âme de l’apôtre qui nous parlait si magnifiquement de nos immortelles destinées ; tous comprenaient et justifiaient cette admirable définition de l’éloquence donnée par le grand orateur lui-même : « L’éloquence est l’âme humaine, c’est l’âme rompant toutes les digues de la chair, quittant le sein qui la porte et se jetant à corps perdu dans l’âme d’autrui ! Oui, c’était bien son âme qui passait dans la nôtre et qui, pour un moment, nous emportait dans les régions célestes du saint amour et de la pure lumière !