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Quand l’âge de la conscription arriva, il partit pour l’armée, où le sort l’appelait, ne regrettant presque du pays natal que son clocher tant aimé. Son temps de service expiré, il revint au village et courut à sa chère église. Hélas ! il la trouva bien vieille, bien délabrée malgré le zèle pieux des bons villageois, elle menaçait ruine de toutes parts. Que faire en cette extrémité ? Le pauvre soldat ne s’était point enrichi au service ; il revenait comme il était parti, le cœur plein de foi et d’amour, mais les mains vides. Et pourtant la chute de la vieille église eût entraîné celle de toutes ses espérances car, nul ne l’ignore, pour l’érection d’une succursale, l’existence des édifices nécessaires au culte est la première condition exigée.

Après y avoir longtemps réfléchi, le digne garçon prit une résolution héroïque. Il ne possédait au monde que la maison paternelle, seul héritage de sa famille, et sa personne : il résolut de donner sa maison à la commune pour en faire un presbytère, et vendit sa personne pour réparer l’église ! Il rentra au service comme remplaçant, et, avec le prix de son remplacement, commença la reconstruction presque totale du pauvre vieil édifice. Depuis cette époque, et il y a cinq ans de cela, il poursuit son œuvre avec une admirable énergie, et, à l’heure qu’il est, il l’a presque terminée. Une dame, instruite de cette histoire et touchée jusqu’aux larmes du dévouement de ce pauvre soldat, lui offrit de le faire remplacer pour lui rendre sa liberté : il refusa, et la pria de reporter sur sa chère église le zèle et l’intérêt qu’elle voulait bien lui témoigner.

C’est, ainsi qu’il est aujourd’hui, et pour deux ans encore, employé à l’hôpital militaire du Gros-Caillou, où plusieurs infirmiers continuent à aider les sœurs dans le soin des malades humble, joyeux, ne se doutant pas