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Il est d’abord une chose qui frappe et qui choque vivement quand on entre dans un hôpital militaire. Contrairement à ce qui se passe dans les hôpitaux civils, contrairement à la convenance, à la décence, au respect du corps et de l’âme des malades, il n’y a point de rideaux à leurs lits. Ces pauvres soldats sont donc couchés à côté les uns des autres, sans que rien les isole des regards de leurs voisins, exposés chacun à la vue de tous, et soumis à la honte d’exécuter en quelque sorte publiquement les prescriptions souvent si humiliantes de la médecine. Je ne parle pas des difficultés matérielles et morales qui résultent de cet état de choses pour l’administration des sacrements, et surtout de l’influence fatale que doit exercer sur ces pauvres malades la vue de l’agonie et de la mort de leurs camarades. Je sais bien que, d’ordinaire, quand on s’aperçoit qu’un soldat va mourir, on l’emporte de la salle commune dans un cabinet isolé mais, outre que le temps manque souvent pour opérer ce transport, comme il arriva pour le jeune soldat dont j’ai raconté l’histoire, pense-t-on que ce soit un spectacle bien salutaire pour des malades que celui de cet enlèvement in extremis dont ils ne connaissent que trop la terrible signification ? Il y a là évidemment, dans l’état matériel des hôpitaux militaires, une lacune déplorable, mais, heureusement, bien facile à combler, et qui cessera le jour où le ministre de la guerre voudra la faire cesser.

Un autre obstacle sérieux au bien-être des soldats malades consiste dans la position, je ne veux pas dire trop dépendante, mais trop restreinte, faite aux sœurs pour tout ce qui regarde la partie matérielle de l’administration. Ainsi, contrairement à ce qui se passe dans les hôpitaux civils, ce ne sont point elles qui sont chargées de la cuisine. Il en résulte évidemment, et je n’ai pas besoin d’insister sur ce point, que la nourriture est moins