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En traversant les cours et les salles de l’hôpital avec l’aumônier, je vis partout une impression de consternation et d’effroi ; les convalescents parlaient à voix basse ; les malades semblaient frappés de stupeur, car l’histoire du zouave enragé s’était répandue partout avec la rapidité de l’éclair, et d’ailleurs on entendait au loin, dans les salles et les cours environnantes, le bruit mal étouffé de ses hurlements.

Dans la salle où se trouvait le malade que j’allais voir, un lit tout proche du sien était recouvert d’un drap blanc : ce drap cachait le corps d’un grenadier de la garde, qui avait été administré une heure auparavant et qui venait de rendre le dernier soupir. Ce jour-là, plus que jamais, je trouvai que l’hôpital est un triste séjour.

Quelque temps après, je revis l’aumônier et lui demandai des nouvelles du pauvre zouave : il m’apprit qu’il avait succombé le lendemain du jour où il s’était confessé, et que jusqu’à la fin il avait manifesté des sentiments admirables de foi et d’amour de Dieu. En mourant, ses lèvres écumantes murmuraient encore les noms de Jésus et de Marie. Pauvre soldat ! Il est arrivé au ciel par un terrible chemin ! Mais qu’importent les horreurs de la route quand on est parvenu au terme du voyage ?

C’est ainsi, c’est par ces victoires éclatantes du zèle et de la charité sur la nature, qu’un bon aumônier d’hôpital acquiert sur ses malades une influence salutaire et une autorité qu’il ne fait servir qu’au salut de leurs âmes. C’est ainsi qu’il réconcilie les mourants, qu’il régénère et fortifie dans les sacrements divins de la Pénitence et de l’Eucharistie ceux mêmes qui, victorieux de la maladie et de la mort, quittent l’hôpital pour retourner au régiment, et qu’il obtient des uns et des autres les témoignages les plus touchants de reconnaissance et d’amour. Quant au prêtre qui fuirait ces combats de chaque jour, et qui, par