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de l’âme que du corps, avides d’affection humaine et de miséricorde divine, qui accueillent une bonne parole, un sourire bienveillant avec des larmes de joie, qui saisissent avec un touchant empressement la main amie qu’on leur présente, pour lesquels le prêtre qui s’approche est véritablement l’ange de la consolation et de la paix. Avec lui, ils croient voir entrer dans leur salle de douleur les souvenirs du passé, les doux, les ineffaçables souvenirs de l’enfance, du village et de la famille. La main qu’il leur tend, c’est la main d’un père, et quand, penché sur leur couche, il sourit doucement et parle à voix basse, ils croient voir sourire et entendre parler leur mère. Émotion puissante et vraie, baume consolant qui fait souvent plus que tous les remèdes pour la guérison du corps et qui assure la guérison de l’âme ! C’est là la grande, la sublime consolation de ce saint ministère c’est qu’il n’est point stérile, c’est qu’il n’est point repoussé, c’est qu’il peuple le ciel en consolant la terre.

Le plus grand, ou, pour mieux dire, le seul vrai chagrin du prêtre digne de ce nom, c’est de sentir que son travail est inutile, non pas devant Dieu, qui voit et récompense tout, mais pour la sanctification des hommes. C’est de se dire à la fin du jour, après avoir répandu à flots sa sueur et son dévouement, qu’il n’a rien fait, rien d’apparent du moins, et qu’il n’a point gagné une âme à Dieu. C’est de voir autour de lui des créatures faites à l’image divine, qui se perdent comme à plaisir, qui vivent dans l’oubli du salut, qui se répandent en mille agitations, en mille soucis de la terre, et qui courent à l’éternité sans faire une seule œuvre pour l’éternité. C’est de poursuivre en vain ces âmes fuyantes et insaisissables comme l’eau, de les trouver ou sourdes ou aveugles, ou prévenues, indifférentes quand elles ne sont point hostiles et insultantes. C’est de courir, au milieu des ronces