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En racontant l’histoire de ce pauvre engagé volontaire, mort à vingt ans dans un lit d’hôpital, j’ai raconté l’histoire de bien des soldats, histoire d’hier, d’aujourd’hui, hélas ! et de demain. Car à l’armée, comme partout, malgré la jeunesse, malgré la force, la mort moissonne incessamment, et l’hôpital est un champ de bataille toujours ouvert pour les soldats et toujours encombré de morts et de mourants. Triste champ de bataille, en vérité, où l’on succombe sans gloire, sans profit pour la patrie, quelquefois avec le remords déchirant de se sentir mourir par sa faute ; séjour de souffrance et d’inconsolable douleur, si, là, comme partout, Dieu n’avait placé de saintes âmes pour adoucir à ses pauvres enfants de l’armée l’amertume de la dernière heure. Cette consolation suprême du soldat mourant, cette joie de l’hôpital, c’est l’aumônier, quand il est saint et dévoué comme celui du Gros-Caillou ce sont les sœurs de Charité, qui rayonnent autour de lui, et dont le sourire angélique réjouit les longues salles et illumine les pâles visages des malades.

C’est un grand et saint ministère que celui d’un aumônier d’hôpital militaire. Il en est peu de plus pénibles et de plus durs, mais il n’en est point, peut-être, de plus consolant. Passer sa vie au milieu des malades et des mourants, voir et revoir chaque jour toutes les misères humaines dans leur horrible variété, entendre des plaintes, des gémissements, des cris de douleur, assister à ce spectacle navrant de la vie qui s’éteint dans des yeux de vingt ans, c’est une cruelle épreuve pour un cœur bon et dévoué, pour le cœur d’un prêtre tout pénétré de la tendresse infinie et de la compassion du Sauveur Jésus. Mais à côté de l’absinthe, voici le miel des consolations célestes ! Ces malades, ces mourants, ce sont de braves soldats, de pauvres jeunes gens, souvent plus souffrants