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détails de plus par ses camarades d’hôpital. J’entrai dans la salle, et j’aperçus du premier coup d’œil le lit où j’avais vu Louis pour la dernière fois. Il était vide, recouvert d’un drap blanc, et semblait attendre un nouveau malade ; rien n’indiquait que la mort venait de passer par là, et déjà les traces du dernier séjour de mon pauvre Louis sur la terre avaient disparu. Deux soldats étaient couchés de chaque côté de ce lit abandonné ; je m’approchai d’eux et leur demandai s’ils avaient vu mourir leur camarade. Ils me répondirent affirmativement, mais ne purent rien m’apprendre de nouveau, si ce n’est que Louis n’avait perdu connaissance qu’une demi-heure avant sa mort, et qu’il avait succombé sans souffrance apparente, sans agonie violente et presque subitement, comme une lampe vide d’huile qui s’éteint tout à coup après avoir vacillé longtemps.

Après avoir prié tout bas pour le pauvre enfant qui avait souffert et était mort en ce lieu, je quittai cette triste salle et j’allai trouver le soldat qui m’avait écrit pour m’annoncer la fatale nouvelle. Je sus de lui que Louis avait eu la consolation de voir, quelques jours avant sa mort, son frère, qui, le sachant beaucoup plus mal, avait quitté son lit, au risque de se tuer, et était venu l’embrasser une dernière fois touchant et douloureux spectacle que celui de ces deux jeunes frères, tous deux militaires et presque du même âge, l’un mourant, l’autre gravement malade, échangeant des caresses éternelles et s’épanchant dans un adieu suprême. J’appris aussi que les soldats de la compagnie de Louis avaient résolu de le faire enterrer à leurs frais et d’assister à ses funérailles, fixées au lendemain. Son corps, déjà porté à l’amphithéâtre, avait donc été replacé intact dans un cercueil et devait être enseveli avec quelque solennité. J’aurais voulu ravoir, comme un dernier sou-