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— Je pense, mon ami, repliquai-je en souriant, que tout arrivera comme vous l’avez rêvé ; seulement vous y mettrez un peu plus de temps.

À ce moment, j’espérais encore un peu qu’il en pourrait être ainsi ; mais bientôt je ne l’espérai plus. L’état du malade s’aggrava de jour en jour ; sa faiblesse devint extrême ; il parlait avec peine et d’une voix presque éteinte. Mes visites, après celles de l’aumônier et du bon prêtre des Missions étrangères, étaient, je crois, ses seules consolations car son frère était alors malade comme lui, et, quoique dans le même hôpital, il ne pouvait sortir de son lit pour aller embrasser le pauvre enfant, qu’il ne savait pas d’ailleurs si gravement atteint.

Chaque fois que j’entrais dans la salle de mon pauvre soldat, je voyais ses yeux se tourner de mon côté, et, quand j’approchais de son lit, ils étaient souvent humides de larmes commencées : rien n’est navrant à voir comme ces larmes des malades qui s’arrêtent au bord de la paupière, parce qu’elles n’ont pas la force de couler ! Je prenais la main de Louis, cette pauvre main amaigrie et brûlante, et je devais rester longtemps ainsi : j’essayais de le consoler ; il m’écoutait, me répondait à peine et restait les yeux toujours fixés sur moi. Son regard doux et triste semblait me dire : « Je vous aime, je sais que vous m’aimez ne vous en allez pas, je n’ai plus que peu de temps à vous voir en ce monde. »

Ah ! j’ai fait bien du mal dans ma vie ; j’ai beaucoup, j’ai gravement péché devant Dieu mais, quand le souvenir de mes fautes me poursuit et m’accable, je pense à ce pauvre soldat mourant, au bien que je crois lui avoir fait durant son long séjour à l’hôpital, et cette pensée me rend un peu de courage et de confiance dans la miséricorde infinie du Seigneur. Ô mon cher Louis ! si tu es au ciel, comme je l’espère, prie pour ce pécheur qui fut