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qui honorent rarement leur uniforme, et qui, trop souvent, le déshonorent.

Certes, mon jeune Alsacien, mon cher et pauvre Louis, n’était pas capable d’une action déshonorante, mais il manquait de cette énergie morale sans laquelle il n’est pas de bon soldat. Il était doux, obéissant, bon sujet, et se faisait rarement punir ; mais la vie militaire lui pesait, et il ne se sentait pas à sa place au milieu de ses camarades : leurs qualités et leurs défauts le choquaient également ; il ne savait pas tirer profit de ces trésors qui reposent si souvent au fond de l’âme simple et forte de nos soldats. Sans amis, sans compagnons, il s’assombrit et s’isola de plus en plus, et sa tristesse s’accrut avec son isolement. Si le bon Dieu, qui veille sur tous ses enfants, ne l’eût conduit comme par hasard à l’église des Missions étrangères, au milieu de ces douces et pieuses réunions de soldats, il fût devenu tout à fait malheureux ; car il n’était pas de ces âmes basses et grossières pour lesquelles l’inconduite est une occupation et un refuge : l’inconduite n’eût été pour lui qu’un ennui de plus et un remords. Mais il trouva dans cette humble église ce qu’il n’y cherchait peut-être pas, une satisfaction profonde aux besoins de son cœur et de véritables affections ; il y trouva des camarades chrétiens, des prêtres dévoués, toute la vie de l’âme et du cœur. Aussi s’éprit-il d’un tendre amour pour ces réunions ; il s’y rendait assidûment, et n’y manquait que lorsque son service l’en empêchait.

Cependant, vers la fin du mois de décembre 1850, il cessa tout à coup de venir aux Missions étrangères. Je crus d’abord qu’il avait été puni, et qu’il n’osait me l’écrire, et je pris patience ; mais plusieurs jours se passèrent, et Louis ne reparaissait pas. Enfin, j’appris par un de ses camarades qu’il était entré à l’hôpital militaire du Gros-