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pompes inimitables d’une belle nature, on aurait pu se croire transporté au moyen âge mais les habits noirs du cortège royal ne permettaient pas cette illusion au spectateur et le faisaient retomber bien vite et de bien haut en plein dix-neuvième siècle.

Après avoir baisé le crucifix que lui présentait le père abbé et écouté le discours plein de convenance et de charme qu’il lui adressa, le roi entra dans l’église, précédé des moines et des prêtres. On célébra le saint sacrifice, et les religieux chantèrent ensuite le Domine, salvum fac regem, et leur inimitable Salve, Regina. Puis le roi, conduit par le père abbé, visita en détail tout le monastère, et je me retirai rempli des émotions de ce grand et singulier spectacle.

Six mois après, le roi Louis-Philippe voyait son trône brisé par un orage populaire ; il passait silencieux et fugitif tout près de cette même contrée où l’avait précédé le roi Charles X, où l’avaient accueilli naguère les acclamations de vingt mille spectateurs accourus sur ses pas. Sa race était bannie, fugitive comme lui, et cependant le père abbé de la Trappe continuait à régner paisiblement sur son petit troupeau : cette fois encore, la houlette du pasteur avait été plus solide que le sceptre du souverain.

Telle est, en quelques mots, l’histoire de l’Église et du monde. Les rois s’élèvent et tombent, les dynasties se fondent, vivent et meurent ; les empires se succèdent, les peuples même sont remplacés par d’autres peuples, et la face de la terre va sans cesse se renouvelant ; mais l’Église de Jésus-Christ, toujours persécutée, toujours à la veille de périr, vit toujours et ne meurt jamais ! Elle vit et communique son éternelle jeunesse aux institutions qui viennent d’elle. De même que saint Pierre régnait à Rome sur l’Église naissante, il y a dix-huit siècles, le