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vers midi, et le soir on a une salade ou une écuelle de lait avec du dessert.

« Toutes ces pratiques semblent devoir épuiser bientôt un homme habitué à une vie douce et aisée dans le monde. Cependant je ne connais pas de lieu où la santé soit plus florissante qu’ici. C’est que nous suivons ce précepte de l’Évangile : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu, et le reste vous sera donné par surcroît. » Et Notre-Seigneur nous tient parole. Mais, s’il a un si grand soin de nos corps, quel soin penses-tu qu’il ait de nos âmes ? Les consolations intérieures, la paix dont il nous fait jouir, l’entretien familier dont il veut bien nous honorer, la joie toute céleste qu’il répand au dedans de nous, nous rendent cette vie si agréable, que j’appréhende fortement, à l’heure de la mort, de n’avoir rien fait pour satisfaire à mes péchés, Il m’est impossible d’appeler du nom de pénitente une vie mille fois plus douce que celle que je menais dans le monde c’est le centuple promis à ceux qui quittent tout.

« L’existence des trappistes devrait faire ouvrir les yeux aux incrédules, car quelle apparence y a-t-il que des hommes, la plupart instruits, appartenant à de bonnes familles, prennent de la joie à mener une vie aussi austère, si la grâce ne les soutenait ? Je ne t’ai pas parlé du silence perpétuel qui est gardé, de la manière de se coucher tout habillé, s’étendant simplement sur une paillasse piquée ; épaisse de quatre doigts au plus, et de tant d’autres incommodités qu’on endure, telles que le froid par exemple, le feu ne se trouvant nulle part qu’au laboratoire. La nature aurait trop à souffrir pour qu’on pût persévérer longtemps, si la Divinité ne nous soutenait de sa grâce toute-puissante. Aussi sommes-nous loin de croire que nous faisons quelque chose de bien, et, si notre sanctification s’opère, c’est la grâce qui fait tout : nous