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que ses mains sont dures au travail. Pour celui-là, le monde n’a que des mépris et de la pitié. Il hausse les épaules et s’écrie : « C’est un fainéant, c’est un homme inutile, c’est un égoïste, c’est un moine ! »

Injustice, mensonge et vanité !

Je ne puis, je l’avoue, garder mon sang-froid quand j’entends des incrédules vous calomnier ainsi par ignorance ou mauvaise foi, ô saints religieux, admirables disciples de Jésus-Christ, qui valez mille fois mieux que tous vos détracteurs et que moi qui vous rends témoignage !

Mais ce qui m’indigne encore davantage, ce que je ne puis absolument excuser ni comprendre, c’est ce même langage de mépris, de pitié ou de blâme dans la bouche d’hommes qui se disent chrétiens et catholiques. Qu’on recule devant la logique sublime de la foi et de la charité, devant l’héroïsme du sacrifice et du renoncement absolu, je ne le comprends que trop, et je le pardonne à mes frères pour que Dieu me le pardonne à moi-même ; mais que des chrétiens blâment dans les autres le courage qu’ils n’ont pas, qu’ils le blâment contre les paroles formelles du Christ, voilà ce que je ne comprends plus !

« Il est bon de servir Dieu, dit-on, mais avec modération et mesure. Se séparer absolument du monde, comme les trappistes, consumer sa vie dans de perpétuelles austerités, jeûner toujours, se condamner au silence, n’est-ce pas le comble de l’exagération et de la folie ? »

Exagération et folie, si l’on veut mais exagération et folie de la croix ! Qu’est-ce que l’Évangile, sinon la mortification, la pénitence et le sacrifice dans la charité, ou, pour tout dire en un mot, l’amour crucifié ? Qu’est-ce que la vie de Jésus-Christ, sinon la pratique de ces austères vertus jusqu’à l’immolation de soi-même, depuis la crèche jusqu’au Calvaire ? Et qu’est-ce qu’un chré-