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valent pas, osent traiter d’oisifs et de fainéants, inutiles aux autres et à eux-mêmes ! Étranges fainéants, qui se lèvent au milieu de la nuit, alors que le reste des hommes repose sur des couches certainement moins dures que les leurs, qui subviennent par eux-mêmes à tous leurs besoins, qui nourrissent des milliers de pauvres, qui défrichent, au péril de leur vie, les landes, les marais et les déserts, et dont la discipline rude et austère ignore jusqu’aux plus innocentes délicatesses de la vie ! Leur journée se partage à peu près également entre le travail et la prière, le travail qui sanctifie le corps, la prière qui sanctifie l’âme. Ils travaillent, à l’exemple du divin Sauveur dans l’atelier de Nazareth à l’exemple de saint Bernard, leur modèle et leur père, qui, revenu dans sa chère solitude après avoir terrassé l’erreur dans les conciles, converti les peuples, pacifié les empires et les souverains, reprenait la bêche et la cognée, remuait la terre, coupait du bois, le portait sur ses épaules comme le dernier des frères, et trouvait un charme infini dans ces humbles travaux. Ainsi font les fils de saint Bernard, aujourd’hui comme il y a sept cents ans ; ils travaillent des mains pour ne pas être à charge à leurs frères, pour châtier leur corps, pour obéir à la grande, à l’universelle loi de l’expiation ; ils prient, parce qu’ils savent que l’homme n’est pas seulement un corps, mais qu’il est aussi une intelligence et un cœur, qu’il ne vit pas seulement de pain, mais de vérité et d’amour.

Qu’est-ce que vivre, sinon exercer et développer, par cet exercice même, les facultés que Dieu nous adonnées ? Or, ceux-là vivent noblement et complétement, qui passent leur existence à exercer leur corps par le travail et leur âme par la contemplation et l’amour de l’éternelle vérité. Parmi tous ceux qui attaquent et calomnient les