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bien ingrat, et cependant, grâce à leur travail et à l’intelligence de leur culture, ils subviennent sans secours étrangers à presque tous leurs besoins ; ils fabriquent eux-mêmes tout ce qui leur est nécessaire, entretiennent leur monastère, leur hôtellerie, et des milliers de pauvres vivent encore de leurs aumônes.

Il est vrai que la Providence bénit visiblement leurs travaux, et qu’en eux se vérifie cette parole de l’Évangile : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu, et le reste vous sera donné comme par surcroît. » Leurs moissons ne connaissent guère les orages, leurs récoltes sont d’une abondance inouïe, et souvent leurs greniers sont insuffisants pour les contenir. Une année entre autres, où la récolte fut médiocre dans toute la France, celle de ces bons religieux fut si belle, que, lorsque j’allai les visiter au mois de septembre, je trouvai la grande cour du monastère littéralement remplie de gerbes amoncelées, dont les joyeuses pyramides s’élevaient presque au niveau du clocher de leur église. La terre semblait près de s’affaisser sous le poids de toutes ces richesses et l’on aurait pu se croire en Égypte, en face des greniers de Joseph.

Quand on songea sérieusement, il y a quelques années, à coloniser l’Algérie, le gouvernement, malgré les préjugés qui étaient alors en honneur contre les moines en général et les trappistes en particulier, se décida à s’adresser à eux comme aux plus habiles et en même temps aux plus dévoués des hommes. Il demanda au père abbé de la Trappe de vouloir bien envoyer une colonie de ses religieux sur la plage aride de Staouëli, afin de tenter contre cette nature, qui semblait à jamais stérile, une lutte que personne n’osait engager. Au lieu de récriminer ou de marchander son dévouement, comme des hommes ordinaires l’eussent fait, le père abbé se contenta de de-