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patrie, savourez l’amertume de cette soirée des derniers adieux, de cette soirée sublime et inénarrable au départ, alors qu’on dit ensemble pour la dernière fois la prière de chaque jour, et qu’après l’allocution suprême du bon père de famille, au chant de ces divines paroles Quam pretiosi pedes evangelizantium pacem, evangelizantium bona ! les missionnaires qui demeurent et les assistants viennent baiser à genoux vos pieds humbles et vénérables, ces pieds heureux qui vont porter au loin la bonne nouvelle du Seigneur ! Ô saints voyageurs, saints apôtres de Jésus-Christ ! allez seuls, dénués de tout secours humain, abandonnés par votre patrie, qui ne vous suit point seulement du regard, allez à ces rivages lointains où mille privations, mille dégoûts, mille dangers, vous attendent ! Allez, portant la vérité et portés par elle, combattre l’ennemi du genre humain au cœur même de son empire ici-bas ! Vous y trouverez peut-être les tortures et la mort : mais que vous importe ? N’est-ce point au contraire ce que vous cherchez et ce que vous souhaitez le plus ? Vous mourrez, mais vous mourrez pour Jésus-Christ, martyrs de l’Évangile, sur un sol que votre sang fécondera, et vous vous coucherez au sein des supplices comme dans le lit nuptial de la vérité, en chantant les cantiques de l’éternel amour !

Et alors, ô saints martyrs ! du haut des cieux où vous serez couronnés, vous prierez pour vos pauvres idolâtres, pour vos chers néophytes et vos chers persécuteurs ; mais, je vous en conjure, priez aussi pour la France, demandez à Dieu qu’il lui mette en main l’épée des anciens jours pour défendre et propager votre œuvre, afin qu’un jour (oh ! que ce jour soit prochain !), à la vue de l’Évangile, de la foi et de la civilisation chrétienne vivant et se développant librement sous sa garde au sein de la