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Quand enfin on lui eut ôté sa cangue et sa chaîne, le mandarin qui présidait à l’exécution descendit de son éléphant, alla lui arranger les cheveux en lui adressant quelques paroles que personne n’entendit : le missionnaire lui répondit aussi quelques mots demeurés également inconnus. Quand l’officier fut remonté sur l’éléphant, la cymbale funèbre retentit trois fois, et la tête du martyr tomba sous le tranchant du glaive : le bourreau l’avait coupée d’un seul coup. Les chrétiens ne purent recueillir que peu de son sang, parce que les officiers chassaient à coups de rotin tous ceux qui osaient approcher. Les soldats païens se partagèrent ses vêtements tout sanglants, sa barbe, ses cheveux et les débris de sa chaîne et de sa cangue, pour les vendre plus tard aux chrétiens.

Aussitôt après l’exécution, les mandarins firent remuer à coups de pioche la terre rougie du sang du martyr pour empêcher les chrétiens de la recueillir ; le corps et la tête du missionnaire furent portés dans une grande barque montée par des soldats : une autre barque reçut le grand mandarin avec des gardes ; ils avaient des vivres pour trois jours et partirent, descendant le fleuve, comme pour s’avancer en pleine mer. Cependant un canot de chrétiens, portant un diacre et deux catéchistes, voguait à distance devant eux pour les observer. Plusieurs barques de pêcheurs, également montées par des chrétiens, se détachèrent successivement de la rive et suivirent de loin cette étrange expédition. La nuit approchait : vers huit heures du soir, le ciel se chargea de nuages et la pluie commença à tomber. Les mandarins, ne se doutant pas qu’ils étaient observés et suivis, arrêtèrent leurs barques, et, après quelques manœuvres que les chrétiens ne purent distinguer, mais qu’ils devinèrent facilement, ils remirent à la voile, remontèrent le fleuve et disparurent. Aussitôt