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Non ! jamais la foi chrétienne n’a inspiré des accents plus touchants et plus simples, plus tendres et plus forts en même temps c’est l’adieu le plus parfait que je connaisse d’un chrétien à la terre.

Le jour même où le martyr écrivait cette lettre, l’approbation de sa sentence de mort arriva de la capitale. Un employé chrétien en prit furtivement connaissance et se hâta d’en donner la nouvelle à quelques amis. Aussitôt, et avec la rapidité de l’éclair, le bruit se répandit au loin que le vénérable confesseur allait être exécuté le soir même et de tous côtes les néophytes accoururent à la ville pour assister à ce spectacle aussi solennel qu’attendrissant. Dès midi, les rues étaient encombrées, et la porte par où l’on supposait que devait sortir le cortège était assiégée par la foule. Ce fut sans doute pour éviter cette multitude que l’exécution fut retardée jusqu’au lendemain, premier jour du beau mois de Marie. Mais, ce jour-là, la foule fut plus grande encore que la veille.

L’emplacement choisi pour le supplice était à près d’une lieue et demie des portes de la ville, près du fleuve. Le martyr fit tout ce trajet à pied, chargé de sa cangue et de sa chaîne, qu’il tenait relevée d’une main, marchant avec un courage héroïque et un air de contentement surhumain. Arrivé au lieu de l’exécution, on lui lia les mains derrière le dos et si fortement, que le sang jaillit. On s’aperçut alors qu’on avait oublié à la ville les instruments nécessaires pour couper sa cangue et briser sa chaîne. On mit plus d’une heure à les aller chercher, et le martyr resta tout ce temps à genoux, droit et ferme comme une colonne il avait reçu le pain des forts peu d’instants avant de sortir de sa prison : comment aurait-il pu fléchir ou trembler ? Il priait avec ardeur, les yeux élevés vers le ciel.