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bonheur ; maintenant il me semble que le bon Dieu m’exauce. Je bénis donc le Seigneur et le remercie de la part qu’il m’a faite, malgré mon indignité.

« Néanmoins, je suis quelquefois un peu triste en songeant à la peine qu’à dû vous causer mon arrestation et aux malheurs qu’elle peut entraîner. Les souffrances des deux chers enfants qui ont été arrêtés avec moi me fendent le cœur et me font parfois verser des larmes. De plus, je suis encore bien jeune ; j’aurais désiré vous aider et prendre soin de ces chers néophytes, que je chéris. J’aurais voulu les secourir encore quelque temps avant de verser mon sang pour eux ; mais le Seigneur ne m’en a pas jugé digne. Que sa sainte volonté soit faite ! Je me confie tout entier à la bonté divine. Si la chair et le sang sont parfois un peu tristes, l’agonie de Jésus au jardin des Oliviers relève mon courage et ma patience pour endurer avec joie tout ce que m’envoie son amour. Je me trouve heureux de souffrir, je voudrais même souffrir davantage pour expier tant de fautes que j’ai commises. Je serais presque tenté de me plaindre à Votre Grandeur de ce que sa sollicitude et l’affection que les chrétiens me portent diminuent beaucoup les peines de ma captivité, qui me sont si précieuses. Je suis vivement touché et attendri de tous les égards que l’on a pour moi, et je ne saurais jamais les oublier. Continuez à m’écrire, Monseigneur, le plus que vous pourrez. Vos lettres, ainsi que celles de tous nos amis, sont pour moi un baume salutaire qui coule sur mon cœur et le soulage. J’étais si heureux de travailler sous votre paternelle direction, de vivre avec de si bons confrères ! Si je vous précède dans le ciel, je ferai bien en sorte de vous tirer après moi. »

Monseigneur Retord, auquel cette lettre était adressée, et qui, en apprenant l’arrestation de M. Bonnard, lui