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chante, et surtout je prie Dieu plus qu’auparavant.

Peu de temps après sa flagellation, qui fut encore suivie de deux autres non moins cruelles, M. Cornay apprit qu’il devait être décapité et coupé en morceaux. Il songea donc à faire ses derniers adieux à ses parents et à ses confrères, et voici les lettres qu’il leur écrivit tout sanglant et du fond de sa cage : il serait indigne du nom d’homme, celui qui pourrait les lire sans une profonde émotion :

« Mon cher père et ma chère mère, mon sang a coulé dans les tourments et doit encore couler avant que j’aie les quatre membres et la tête coupés. La peine que vous ressentirez en apprenant ces détails m’a fait déjà verser bien des larmes : mais aussi la pensée que je serai près de Dieu à intercéder pour vous quand vous lirez cette lettre, m’a consolé et pour moi et pour vous. Ne plaignez pas le jour de ma mort, il sera le plus heureux de ma vie, puisqu’il mettra fin mes souffrances et sera le commencement de mon bonheur. Mes bourreaux mêmes ne sont pas absolument cruels ; on ne me frappera pour la seconde fois que quand je serai guéri de mes premières blessures. Je ne serai point pincé ni tiraillé comme M. Marchand, et, en supposant qu’on me coupe les quatre membres, quatre hommes le feront en même temps, et un cinquième coupera la tête ainsi je n’aurai pas beaucoup à souffrir. Consolez-vous donc, dans peu tout sera terminé, et je serai vous attendre dans le ciel.

« Je suis avec l’affection et le respect filial, mon cher père et ma chère mère, votre fils,

« J.-C. CORNAY.

« En cage, le 18 août 1837. »