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d’amour, ô mon père ! on nous laisse vivre bien longtemps.

Enfin la sentence de mort et l’ordre de l’exécution arrivèrent : ils étaient condamnés l’un et l’autre à être étrangles. Le 21 septembre, dès le matin, une troupe de soldats commandés par un mandarin se rendit à la prison. M. Jaccard et Thomas Thien furent tirés de leur cachot pour être conduits au lieu du supplice ; ils y marchèrent avec fermeté, et leurs visages réfléchissaient la joie de leur âme. Le saint missionnaire surtout paraissait tout joyeux de son jeune compagnon et jetait sur lui des regards pleins de satisfaction et de tendresse. Un témoin oculaire de cette marche triomphale rapporte un trait qui peint merveilleusement leur calme et leur sérénité. En passant le fleuve, et près d’arriver aux auberges où l’on a coutume de donner à boire et à manger aux criminels conduits au supplice, le jeune Thomas se retourna et dit en riant à M. Jaccard : « Père, prendrez-vous quelque nourriture. — Non, mon enfant, répondit le missionnaire avec un sourire affectueux. Ni moi non plus, ajouta Thomas ; au ciel donc, mon père ! »

Arrivé à l’endroit fixé pour l’exécution, M. Jaccard eut encore la consolation de recevoir l’absolution d’un prêtre annamite qui s’était rendu là dans ce dessein et pour assister au martyre des confesseurs et à leur sépulture. On fit asseoir le missionnaire sur une natte et on le lia fortement à un poteau on en fit autant pour Thomas Thien. Ces préparatifs terminés, les bourreaux saisirent la corde fatale, et, un moment après, les martyrs avaient rendu leur âme à Dieu. Leurs corps inanimés furent enveloppés dans les nattes sur lesquelles ils étaient assis pendant le supplice. Les païens les ensevelirent dans une fosse creusée au milieu du sable, auprès de leurs poteaux. Depuis, leurs restes mortels furent transportés en France, et tous deux reposent maintenant à côté l’un de l’autre