Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appuyé sur ses coudes, dans l’attitude de la prière il offrait sans doute ses souffrances au Père céleste, le remerciant de la victoire et le priant d’agréer son sacrifice. Son corps était si cruellement déchiré, qu’aussitôt qu’on lui eut remis ses vêtements, son pantalon noir devint à l’instant rouge par l’abondance du sang qui coulait de ses plaies. C’est dans cet état qu’il fut reconduit dans son cachot, d’où il ne sortit plus que pour mourir.

En attendant la consolation suprême du martyre, Dieu envoya à son serviteur une grande joie en lui donnant pour compagnon de captivité un jeune néophyte digne de mourir avec lui : Thomas Thien, né en Cochinchine, orphelin de bonne heure, élevé par les missionnaires et toujours demeuré fidèle à la grâce divine, avait dix-huit ans à peine et se préparait au sacerdoce, quand il fut arrêté, traduit devant le mandarin et sommé d’apostasier et de dénoncer la retraite des missionnaires. Sur son refus, il fut torturé de mille manières, et les bourreaux poussèrent la barbarie jusqu’à lui arracher la chair avec des pinces rougies au feu et ensuite avec des pinces froides. Au milieu de ces horribles tourments, le jeune chrétien, évidemment soutenu par une force surnaturelle, ne versa pas une larme et manifesta la joie la plus vive pendant la durée du supplice. C’est alors qu’il fut jeté dans le cachot où M. Jacsard attendait la mort. Sans s’être jamais vus auparavant, ils se reconnurent à leurs plaies, s’embrassèrent comme un père et son fils, et ne se quittèrent plus, même pour mourir !

Un mois se passa encore dans l’attente du dernier supplice. Les confesseurs soupiraient après le martyre, et, dans l’ardeur de sa jeunesse et de sa foi, Thomas Thien s’élançait par le désir au devant de la mort : « Ô mon père ! disait-il souvent à M. Jaccard, dans un saint transport