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triomphant dans Rome avec plus de joie que nous en ressentîmes en entrant dans cette nouvelle demeure. Nous y trouvâmes les cinq généreux compagnons du vénérable Paul Doi-Buong (capitaine de la garde royale, qui venait d’être mis à mort pour la foi)… Je crois que le roi s’est aperçu qu’il ne gagne pas grand’chose à envoyer ses sujets au ciel ; car après les avoir condamnés à mort, il ne fait pas exécuter la sentence : il leur pardonnerait volontiers s’ils consentaient à apostasier : il l’avait fait proposer à Paul Doi-Buong sur le lieu même de l’exécution ; mais ce généreux martyr répondit avec dignité : « Je suis arrivé au terme, je ne veux pas retourner sur mes pas. »

Après trois ans d’exil, de changements de prison, de souffrances de tout genre, M. Jaccard vit enfin avec joie arriver l’heure du martyre si longtemps attendu. Au mois de juillet 1836, il fut jeté dans un cachot infect avec une cangue au cou et des chaînes pesantes. Puis, quand on le jugea épuise de corps et de courage, il fut traduit en audience solennelle devant le tribunal du mandarin, qui lui proposa d’abord de se racheter par l’apostasie. Le saint missionnaire répondit avec l’énergie de l’indignation : « Mia religion n’est pas un don du roi, je ne puis l’abandonner à la volonté du roi ! »

Alors commença la torture. Le confesseur, toujours charge de sa cangue et de ses chaînes, fut étendu à terre, attaché à des pieux enfoncés dans le sol, et frappé de quarante-cinq coups de rotin, donnés à neuf reprises par différents bourreaux. De temps en temps, le mandarin interrogeait le martyr, qui gardait le silence. Les bourreaux frappaient avec tant de violence, qu’ils brisèrent douze rotins, et que chaque coup faisait ruisseler te sang. Le supplice dura de neuf heures du matin à midi, sans que M. Jaccard jetât un cri et poussât un soupir. Après le supplice, on le vit se recueillir quelques instants,