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La foule, qui suivait et qui augmentait à chaque pas, déplorait le sort de M. Gagelin et disait : «o Qu’a fait cet homme ? Pourquoi mettre à mort un innocent comme celui-là ? Le roi est-il devenu un tyran ? » Cette multitude de païens, saisie d’admiration env oyant le courage et le sang-froid du martyr, s’écriait : « Qui a jamais vu quelqu’un aller à la mort avec aussi peu d’émotion ? » C’est qu’ils n’avaient jamais vu personne aller au martyre. M. Gagelin marchait à grands pas, d’un air tranquille, jetant de temps en temps ses regards sur la multitude qui le précédait. On arrive l’extrémité du faubourg Baidan, on se prépare à l’exécution ; M. Gagelin regarde autour de lui et demande si on va l’étrangler ou lui trancher la tête. On étend une natte par terre le martyr demande à se mettre à genoux ; on le fait asseoir les jambes étendues, puis déboutonner ses habits, que l’on abaisse jusqu’à la ceinture ; ensuite on lui attache les bras à un pieu derrière le dos. Il se prête à tout avec le plus grand sang froid ; on lui passe une corde au cou, on roule les deux bouts de la corde autour de deux pieux solidement plantés aux deux côtés pour l’exécution : dix ou douze soldats, cinq ou six de chaque côté, tirent la corde de toutes leurs forces : M. Gagelin expire sans le plus léger mouvement et consomme ainsi son martyre, le 17 octobre 1833, entre sept et huit heures du matin.

M. Jaccard, le digne et bien-aimé confrère de M. Gagelin, n’accomplit son sacrifice que plusieurs années après lui. Le roi, je l’ai déjà dit, se servait de lui comme interprète et comme traducteur, et, partagé entre sa haine pour les chrétiens et le besoin qu’il avait du missionnaire, il ordonnait souvent et retardait toujours son exécution. À la mort de M. Gagelin, le saint missionnaire et le père Odorico, religieux franciscain italien, son compagnon de captivité, crurent d’abord qu’ils allaient le suivre de près,