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de grâces je n’oublierai cependant pas de demander auparavant pour vous les grâces dont vous avez besoin. Je vous parle de science certaine : vous êtes condamné à mort comme missionnaire ; n’oubliez pas de brûler tous vos papiers ; si vous en avez d’importants, remettez les à votre écolier, qui me les apportera ou me les fera passer. J’annonce au Tonk-King et même à Mucao ce que je vous ai annonce, parce que c’est vrai. Dans quelques jours, vous allez monter au ciel, ne nous oubliez pas. Je n’ai pas encore pu savoir quand vous serez exécute ; il est possible que dès cette nuit ou demain je fasse disparaître mes ornements et autres objets de culte. Le père Odorico se dispose sérieusement à mourir comme vous ; quant à moi, je suis sur le qui-vive… »

À cette annonce certaine de sa condamnation et de sa mort prochaine, M. Gagelin répond ainsi le jour même « Monsieur et très cher confrère, la nouvelle que vous m’annoncez que je suis irrévocablement condamné à mort me pénètre jusqu’au fond du cœur. Non, je ne crains pas de l’assurer, jamais nouvelle ne me fit tant de plaisir ; les mandarins n’en éprouveront jamais de pareil : Lætatus sum in his quæ dicta sunt mihi : in doum Domini ibimus. La grâce du martyre, dont je suis bien indigne, a été dès ma plus tendre enfance l’objet de mes vœux les plus ardents ; je l’ai spécialement demandée toutes les fois que j’élevais le précieux sang au saint sacrifice de la messe. Dans peu, je vais donc paraître devant mon juge pour lui rendre compte de mes offenses, du bien que j’ai omis de faire et même de celui que j’ai fait. Si je suis effrayé par la rigueur de sa justice, d’un autre côté ses miséricordes me rassurent ; l’espérance de la résurrection glorieuse et de la bienheureuse éternité me console de tous les travaux que j’ai supportés, de toutes les peines et les humiliations que j’ai souffertes ;