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craindre, répondit le martyr je ne crains que Dieu. Aujourd’hui c’est à moi de mourir, demain ce sera le tour d’un autre.

— Quelle insolence ! dit le mandarin en lançant une imprécation ; qu’on le soufflette ! »

Et il s’éloigna.

Les soldats ne tinrent pas compte de son ordre. Arrivé sur le lieu de l’exécution, monseigneur Borie fit appeler un des écrivains et le chargea de dire au mandarin Bô que si sa réponse avait pu l’offenser, il lui en demandait pardon.

Sur le lieu désigné pour le dernier supplice, six nattes avaient été étendues d’avance par un chrétien. Les trois martyrs s’y agenouillèrent et prièrent quelque temps, le visage tourné vers l’Europe. La prière terminée, un serrurier brisa le fer qui réunissait les deux parties de leurs cangues. On fit coucher les pères Diem et Koa à plat ventre pour être étranglés. Monseigneur Borie était assis, les jambes croisées, son habit abaissé jusqu’au-dessous des épaules. Alors le mandarin prit son porte-voix et donna pour signal qu’au troisième coup de cymbale les exécuteurs fissent leur devoir. Le supplice des deux prêtres annamites fut prompt, celui de monseigneur Borie fut affreux. L’exécuteur, à demi ivre, savait à peine ce qu’il faisait. Son premier coup de sabre porta sur l’oreille du martyr et descendit jusqu’à la mâchoire ; le second enleva le haut des épaules le troisième fut mieux dirigé, mais il ne sépara pas encore la tête du tronc. À cette vue, le mandarin criminel recula d’horreur. Il fallut y revenir jusqu’à sept fois avant d’achever cette œuvre de sang, pendant laquelle le saint prêtre ne poussa pas un seul cri.

Aussitôt après l’exécution, chrétiens et païens, mandarins et soldats se jetèrent à l’envi sur les dépouilles des martyrs et se les disputèrent comme autant de trésors.