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sa vie entre leurs mains. Un jour, le mandarin Bô, son plus cruel ennemi, ayant osé blasphémer et tenir des propos obscènes devant lui, il s’écria avec indignation « Mettez ma chair en sang, déchirez-moi tant qu’il vous plaira, mais cessez de tenir de semblables propos ! »

Ce fut dans cette prison que lui parvint sa nomination à l’évêché d’Acanthe : il n’eut ainsi d’autre consécration que celle de son sang.

Il fut bientôt transféré, avec ses compagnons, au chef-lieu de la province. Partout, sur son passage, il reçut les témoignages les plus touchants de l’affection que lui portaient les nombreux chrétiens de ce district. Ils accouraient en foule sur la route, le suivaient en pleurant, et quand il fallait passer des rivières, comme les mandarins défendaient qu’on leur prêtât des barques, on en vit se jeter dans l’eau et s’exposer à périr pour accompagner plus longtemps leur bon père. Telle est l’énergie et la tendresse de cœur que donne la foi à ces pauvres chrétiens de la Chine et du Tong-King, les plus lâches et les plus égoïstes des hommes avant leur conversion.

Arrivé a la préfecture, monseigneur Borie eut à subir plusieurs fois la question. On espérait lui arracher des aveux sur ses travaux apostoliques, l’état des chrétientés et le nombre des néophytes mais il garda toujours un silence inébranlable. On le flagella cruellement et sa chair vola en lambeaux, il gémit et se tut. Le mandarin lui ayant demandé s’il souffrait « Je suis de chair et d’os comme les autres, répondit-il ; pourquoi serais-je exempt de douleur ? Mais n’importe, avant comme après la torture, je suis également content. »

Le mandarin lui ayant dit encore pour l’effrayer : « Peut-être le roi vous mandera-t-il à la capitale. Là un grand feu est allumé, les tenailles sont rougies, et votre chair sera arrachée par lambeaux pourrez-vous l’endurer et