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dies, profondes, qui semblaient faites par un énorme clou, stigmates frappants et douloureux de la Passion de Jésus-Christ ! Sa bouche était entr’ouverte ; de violents soupirs, semblables au râle d’un agonisant, s’échappaient avec effort de sa poitrine son corps était d’une affreuse maigreur enfin, toute sa personne offrait l’image la plus désolante de la souffrance et de la mort prochaine, et l’on ne pouvait s’empêcher, en la considérant, de répéter ces paroles prophétiques de l’Ancien Testament, relatives au Sauveur « Ils ont percé mes mains et mes pieds ; ils ont compté tous mes os a »

Cependant, quand au bruit de nos pas elle ouvrit les yeux et les tourna vers nous, nous vîmes briller dans son regard la flamme de la prière et de la vie : c’était un regard profond, pénétrant, plein de tristesse, mais de douceur, de résignation et de saintes espérances. Nous lui demandâmes si elle entendait le français, que personne ne parle dans son pauvre village ; elle nous fit signe que oui, et répondit toujours par signe (il lui est matériellement impossible de prononcer un seul mot) à nos différentes questions, de manière à nous prouver clairement qu’elle nous comprenait. Mon frère lui ayant demandé, entre autres choses, si elle était heureuse de souffrir, elle leva les yeux au ciel avec une expression indicible de joie et d’amour. Elle nous confirma ce qu’on nous avait dit, qu’elle ne mangeait, ne buvait et ne dormait jamais, ce qui, du reste, eût été absolument impossible dans l’état d’agonie perpétuelle où elle se trouvait. Enfin nous nous fîmes répéter, par sa pauvre sœur et par les habitants du village que nous rencontrâmes sur notre chemin, que, tous les vendredis, depuis douze ans, ses plaies saignaient abondamment, qu’elle se frappait la poitrine avec une telle violence, que le bruit de ses coups se faisait entendre au loin enfin, qu’elle retraçait