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puissance de Dieu peut seule l’expliquer à mes yeux. Avant de quitter Kattern, je ne puis résister au désir de rapporter encore un trait saisissant de Marie de Mœrl, que j’emprunte à une lettre de M. Borée. M. Borée, durant son séjour à Kaltern, demeurait chez Madame la baronne de Pauli, femme du préfet de Vérone et amie intime de Marie de Moerl, avec laquelle elle avait été élevée. Voici, entre beaucoup d’autres faits du même genre, ce qu’elle lui raconta :

« Il y a neuf ans, lorsqu’on porta ma petite Louise dans la chambre de Marie, que j’avais priée d’être sa marraine, celle-ci ne fit d’abord aucune amitié à l’enfant, qu’elle voyait encore couverte de la tache originelle. Profondément recueillie sans être en extase, elle attendait l’acte du baptême avec une pieuse ardeur qui se peignait sur tous ses traits. Mais, dès que la cérémonie fut achevée, quand l’eau sainte et les paroles sacramentelles eurent enlevé la souillure héréditaire, Marie demanda aussitôt sa filleule. On la déposa dans ses bras. Elle la considéra un instant avec une ineffable expression de joie et d’amour ; puis, s’enlevant tout à coup avec elle dans un essor extatique, elle resta suspendue sur l’extrême pointe des pieds, tenant toujours l’enfant contre son sein et l’offrant, comme une seconde mère, aux regards des anges et aux bénédictions de Dieu.

Pour ne plus revenir sur le sujet de Marie de Mœrl, je dirai tout de suite que, deux jours après cette première visite, en repassant par Kaltern, nous obtînmes la permission de la voir une seconde fois. Nous la trouvâmes en extase, comme l’avant-veille mais son attitude était plus surnaturelle encore, plus évidemment en dehors des lois de l’équilibre, et son expression nous parut plus divine, Rappelée à elle-même, elle nous accueillit, comme la première fois, avec une douceur infinie ; et bientôt,