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l’accueil gracieux et charitable de ses pieux habitants.

Après cette excursion, nous revînmes à Milan, d’où nous partîmes le lendemain pour gagner le Tyrol par tes lacs de Lugano et de Côme. Nous traversâmes le lac de Lugano sur une petite barque de pécheur, afin de jouir plus à l’aise des charmes de ce site enchanteur. Ce lac est peu étendu, mais justement renommé pour sa beauté tranquille et solitaire. De hautes et belles montagnes l’entourent et projettent sur ses eaux, à toutes les heures du jour, des ombres larges et solennelles, qui vont s’agrandissant jusqu’au soir et finissent par l’envelopper tout entier. Tout, dans cette nature, est doux, harmonieux, plein de calme et de recueillement. Cette impression s’accroît à mesure que le jour tombe et que le voile des nuits s’étend sur l’azur du ciel ; les contours des montagnes se confondent peu à peu sans s’effacer entièrement, et leurs masses semblent grandir aux yeux incertains du voyageur.

La nuit gagna tout a fait avant que nous eussions atteint la rive, et nous eûmes ainsi le pendant de la belle soirée que nous avions goûtée dans les montagnes. Le calme était peut-être plus profond encore, la solitude plus grande. Tous les bruits de la terre s’étaient évanouis ; nous avancions sur les eaux immobiles du lac, qui semblait endormi comme toute la nature environnante ; les étoiles s’y rendaient à des profondeurs infinies, de sorte que nous semblions voguer entre deux firmaments. Peu à peu notre conversation languit et finit par tomber tout à fait. Dans ces instants solennels, on ne peut causer qu’avec Dieu. La barque qui nous portait nous berçait doucement, et nous nous laissions aller à ses balancements presque insensibles comme font les petits enfants sur les genoux de leur mère et dans le berceau tranquille dont le léger mouvement les endort. L’eau, frappée regulière-