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jamais refusée à personne : on est accompagné dans cette visite par le frère portier ou par un autre religieux qui a la permission de parler aux étrangers. La visite ne dure pas longtemps, car les bâtiments sont bien modestes et bien restreints. Ils ont été reconstruits sur les ruines faites par les révolutions, avec le secours visible de la Providence, qui n’a jamais fait défaut à ces humbles et confiants chrétiens.

Autour des salles règnent de longs corridors dont les murs sont blanchis à la chaux et nus de tout ornement. Seulement, de place en place, des inscriptions austères ou consolantes attirent les regards et, de gré ou de force, entrent jusqu’au cœur. Ici, vous lisez ces mots de l’Évangile : « Que vous servirait de gagner tout le monde si vous venez à perdre votre âme ? » Plus loin, ces autres paroles de l’Ancien Testament : « Qu’il est doux à des frères d’habiter ensemble dans la maison du Seigneur ! » Au-dessus des portes flamboie ce seul mot qui dit tout : « Ô éternité ! » C’est ainsi qu’à la Trappe les murs et les pierres même ont une voix éloquente, pour ramener le cœur et la pensée de l’homme à la méditation de l’éternelle vérité.

Au rez-de-chaussée se trouve le réfectoire des religieux : c’est une grande salle qui n’a pour ornement qu’un crucifix et sur la muraille des sentences écrites, bien faites pour tuer la sensualité, celle-ci, par exemple, qui m’a particulièrement frappé : « Tandis que vous mangez à cette table, songez que vous assisterez un jour à un autre repas où vous servirez de nourriture aux vers ! »

Des deux côtés du réfectoire s’étendent de grandes tables de bois avec des bancs pour s’asseoir ; au bout de la salle, une autre table plus petite pour le père abbé et le prieur. Il me fut donné un jour, par une faveur particulière, de m’asseoir à cette table et d’assister à un repas