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grand cardinal, de ce saint archevêque mourant, porté sur les eaux tranquilles de ce beau lac Majeur, dans une petite barque, au milieu de pauvres bateliers qui l’appelaient leur père, avec lesquels il se plaisait encore à réciter des prières, auxquels il parlait de Dieu avec tant de piété et d’amour, qu’ils pleuraient tous en l’écoutant ! Il semble vraiment que les eaux du lac aient retenu quelque chose du charme et de la majesté de ce grand serviteur de Dieu, et que ses flots si paisibles, en venant doucement expirer sur la rive, murmurent encore le nom de saint Charles Borromée.

Nous quittâmes à regret cette petite ville d’Arona, où la mémoire du saint archevêque est si vivante, et dès que nous fûmes à Milan, nous courûmes à la cathédrale, où se trouve son tombeau. C’est là, en effet, qu’il rendit son âme à Dieu, le 4 novembre 1864, deux jours après avoir quitté Arona. Il mourut, selon son désir, dans la cendre et dans le cilice, comme saint Ambroise, son illustre prédécesseur, calme, radieux et souriant au milieu des lamentations de ses serviteurs et de ses prêtres, accourus en foule pour recevoir ses dernières bénédictions.

On l’enterra, selon ses ordres, dans son église cathédrale, au bas des degrés qui montaient au chœur, dans l’endroit le plus foulé aux pieds. C’est là que, depuis près de trois siècles, on vient de tous les points de la chrétienté vénérer les restes de ce grand homme ; c’est là que, par son intercession, furent obtenus, dès le lendemain de sa mort, de si éclatants et si nombreux miracles, que l’Église entière ne tarda pas à le proclamer saint par l’autorité du souverain Pontife ; c’est là, dans l’humble caveau où repose sa dépouille sacrée, que nous vînmes à notre tour nous agenouiller avec une émotion profonde, et demander à Dieu, qui fait les saints, d’envoyer à son Église de nouveaux Charles Borromée.